mercredi 7 novembre 2018

Paul Tuffrau, médiéviste

Déjà Paul Tuffrau, fin 1911-début 1912, avait envoyé au quotidien Le Journal deux articles portant sur le Moyen âge (sous le pseudonyme Robertot ou E. Robertot) :

  • « Noël au Moyen âge » (25 décembre 1911) (article illustré d'un dessin de Carlègle)
  • « Un chahut d'étudiants au Moyen âge » (12 mars 1912)
Mais son œuvre concernant le Moyen âge va venir par la suite : il s'agit essentiellement du renouvellement en français moderne de différents textes du Moyen âge :

1) Des chansons de geste
- Et d'abord La légende de Guillaume d'Orange. 
Ce travail, Paul Tuffrau l'avait quasiment achevé en 1914, mais, du fait de la guerre, il ne put paraître qu'en 1920 (Paris, Piazza).
Il avait toutefois été couronné par l'Académie française en 1916.
Et il sera salué par Émile Mâle :
« Présenter le cycle de Guillaume d’Orange […] était certes une belle entreprise. Vous l’avez réalisée avec un goût parfait. Votre adaptation d’une langue si pure a séduit et continuera à séduire les lecteurs […]. En rajeunissant pour nous ces vieux chefs-d’œuvre, vous avez fait une œuvre vraiment noble… »
En 2002, Alain Corbellari consacra un chapitre à cet ouvrage dans Réception du Moyen Âge dans la culture moderne (Amiens, Presses du « Centre d’Études médiévales », « Médiévales », 23, p. 61-69) (texte repris dans : Alain Corbellari, Le Philologue et son double. Études de réception médiévale, Paris, éditions Garnier, 2015, p. 285-298)
« Tuffrau a su donner à la geste héroïque du fils d'Aymeri une expression littéraire forte et unifiée qui, certes marquée par une élévation stylistique bien de son époque, n'a guère rencontré de réécriture plus récente qui la supplantât. »

La légende de Guillaume d'Orange a été rééditée en 1999 chez Séguier, sous le titre Guillaume d'Orange
- Raoul de Cambrai (Paris, L'Artisan du livre, 1924; Paris, Séguier, 2000).
Paul Tuffrau présenta, avec beaucoup de modestie, dans son avant-propos ce qu'il avait voulu faire :
« Comme pour la Légende de Guillaume d’Orange, je prie le lecteur de vouloir bien ne chercher ici qu’une adaptation libre, arbitraire donc dans une certaine mesure. Reste à indiquer cette mesure. Autant que j’ai pu, je me suis pénétré du caractère énergique et rude du poème ; puis je l’ai réduit à ses éléments essentiels ; j’ai simplifié, dégagé, clarifié ; j’ai éliminé bon nombre de combats, et dans ceux que j’ai dû conserver, je n’ai voulu retenir que les traits expressifs. Il m’est aussi arrivé de transporter de-ci de-là des détails recueillis ailleurs, et, pour “enchaîner”, de créer des scènes. Voilà qui établit les responsabilités : qu’on m’attribue tout ce qui pourrait paraître gauche ou faible ; et qu’on rapporte le mérite de ce qui plaira à Bertolai de Laon, “qui moult fut preus et sage”, si nous convenons d’appeler Bertolai l’auteur de la vieille chanson. »
Comme La légende de Guillaume d'Orange, Raoul de Cambrai fut, en 1925, couronné par l'Académie française. 
Albert Thibaudet rendit compte de sa parution dans la Nouvelle Revue Française (n° 144-1er septembre 1925, p. 362-364) :
« Le remaniement de M. Tuffrau a réduit Raoul de Cambrai à ce qu’il a d’essentiel, de nerveux, de tragique. Il lui a gardé son caractère de rudesse, cette vie forcenée de quelques grands sentiments simples. C’est une chronique française, au sens que donnait Stendhal lorsqu’il intitulait Chroniques Italiennes ses exemples de virtu. »
et Louis Halphen dans la Revue historique (mai-août 1926, tome 152, p. 223) :
« M. Tuffrau, autre renouveleur de talent, s’est attaqué à la belle et rude épopée de Raoul de Cambrai, dont il a su rendre avec art la sauvage grandeur. Il a beaucoup élagué de la frondaison touffue du poète ; il ne s’est pas interdit d’ajouter parfois ; mais il semble avoir assez fidèlement traduit l’esprit de l’œuvre primitive et doit en être félicité. »
- Garin le lorrain (Paris, Séguier, 1999)

Paul Tuffrau n'avait pas pu faire paraître Garin le lorrain de son vivant. Le mérite de le faire en revient à sa fille, Françoise Cambon, qui, dans son avant-propos, précisait :

« Le but de Paul Tuffrau n'a pas été de faire une traduction scientifique. Il est parti d'une œuvre très touffue, et, par là-même, peu lisible. Il en a supprimé les passages fastidieux qui alourdissaient considérablement le récit. Il a souvent été amené, pour une raison de logique, à modifier l'ordre des épisodes du texte ancien et il a mis en valeur ceux qui en valaient la peine.                                                                                                                     « Adaptant et refondant le texte médiéval, tout en restant très fidèle à son esprit et à son contenu, il en a fait une œuvre belle et évocatrice, et il a rendu accessible à tous, avec son clair talent d'écrivain, une chanson de geste qui était restée bien peu connue du public. »  

- Dans un article paru dans la revue La Vie des peuples (tome V, n° 19, 25 novembre 1921, p. 441-459), « L'épopée française », Paul Tuffrau brossa un vaste tableau des chansons de geste, de leur typologie, et de leur génèse. Notamment, comment expliquer cette discordance : « les plus anciens textes que nous possédions datent du XIe siècle ; les événements qu'ils relatent sont les événements du VIIIe siècle » ? Une explication fait intervenir le rôle des moines dans les abbayes, conservateurs pendant longtemps de « traditions purement locales » 

« Vinrent les vastes migrations des pèlerinages et des croisades, entraînant avec elles les jongleurs, amuseurs ordinaires des foules ; ceux-ci virent aussitôt le profit à tirer des traditions conservées par les clercs, et les clercs de leur côté virent quelle magnifique propagande pouvaient leur faire les jongleurs; les uns apportèrent leur documentation, les autres leur talent ; et le passé commença à revivre devant le peuple, qui s'en émerveillait justement parce qu'il ne le connaissait pas. »
 2) Les Lais de Marie de France (Paris, Piazza, 1923)

Paul Tuffrau a indiqué ses intentions dans sa préface : 

« J’ai tâché de conserver dans cette transposition […] le plus que j’ai pu de ce charme indéfinissable, en songeant à ceux qui ne peuvent lire le vieux texte. […] J’ai essayé de suppléer, en rythmant discrètement la phrase sans jamais lui donner un mouvement oratoire qui n’eût pas été dans le caractère simple et puéril du texte, à la forme poétique que je faisais disparaître. »

3) Le Merveilleux Voyage de Saint Brandan à la recherche du Paradis. Légende latine du IXe siècle (Paris, L'Artisan du Livre, 1925)
Et, là aussi, dans un avant-propos, Paul Tuffrau expliquait ce qu'il avait cherché à faire :
« Mon objet a été de dégager, d’une forme souvent assez gauche, parfois sommaire au point de décevoir peut-être le lecteur d’aujourd’hui, une des légendes les plus séduisantes dont se soit bercée l’imagination des hommes. Je me suis efforcé, en le faisant, de conserver l’allure aimable du vieux récit, sa sérénité limpide, sa sobriété sans sécheresse. Je ne me flatte point d’y avoir réussi. Mais la chose valait d’être tentée. »
Mario Meunier, dans un article de la revue Les Marges, tome XXXVI, n° 144, 15 juin 1926 (p. 145-146), a porté un jugement élogieux sur cet ouvrage:
« M. Paul Tuffrau [...] nous donne aujourd’hui Le merveilleux voyage de Saint Brandan à la recherche du Paradis. Tel qu’il est, ce petit livre est un enchantement. Il respire le plus pur de la poésie celtique, de cette poésie où se mélangent les séductions du rêve et les joies de l’aventure. [...] Le récit de ce Merveilleux voyage n’est pas une traduction. Certes, M. Paul Tuffrau a utilisé le texte latin, mais il s’est aussi servi de trois textes français. Écrivain émérite et délicat artiste, il a su excellemment garder l’allure aimable et féerique de cet antique récit, sa sérénité limpide, sa couleur de vitrail et sa sobriété expressive et charmante. »    

Des extraits  du Merveilleux voyage de saint Brandan à la recherche du Paradis ont été repris dans deux recueils : Légendes traditionnelles de la mer (Saint-Malo, éditions L'Ancre de marine, 1998), et Imagine la mer (Saint-Malo, éditions L'Ancre de marine, 2018).

4) Le roman de Renart (Paris, L'Artisan du Livre, 1942) (avec des gravures sur bois de Lucien Boucher).                           



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